Lettre ouverte à Agnès Buzyn

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Certaines citadelles sont difficiles à prendre, alors réjouissons-nous !

En effet, si le décret du 19 octobre 2010 avait défini les contours des actes de télémédecine, rien n’était prévu pour le financement. Force est de constater que l’absence de financement pérenne et durable a limité le développement de la télémédecine à sa portion congrue, celle d’expérimentations limitées et sans lendemain.

Il aura donc fallu attendre 7 ans, deux nouveaux présidents, et la reprise en main du dossier par Agnès Buzyn, pour que le PLFSS 2018 intègre enfin le principe d’une prise en charge par l’Assurance Maladie. Alors oui, ne boudons pas notre plaisir Madame Le Ministre : le PLFSS 2018 constitue une avancée majeure dans le développement de la télémédecine. L’article 36 prévoit en effet que « le cas échéant, la ou les conventions définissent en particulier le tarif et les modalités de réalisation des actes de télémédecine ». Les voiles de la téléconsultation commencent à frémir à l’annonce des alizés.  

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Mais passé ce vent d’optimisme, il me faut revenir à une certaine retenue Madame le Ministre ! Certes les discussions entre l’Assurance Maladie et le monde médical pour déterminer le montant de la rémunération des médecins constituent une étape nécessaire.

Mais il est inquiétant de voir que des sujets fondamentaux ne sont pas à l’ordre du jour.

Quid des aspects techniques du remboursement pour le patient ? A quand la carte vitale dématérialisée ? Est-elle tout simplement prévue ? Va-t-on revenir aux bonnes vieilles feuilles de soins ?

Ensuite, l’ambition affichée peut interpeller : l’objectif est d’atteindre 1 300 000 actes en 2021 alors que 2 000 000 d’actes sont réalisés chaque jour par les médecins sur le territoire national. Présenté autrement : chaque médecin réalisera une bonne demi-journée de téléconsultation… par an ! Il est donc clair que la téléconsultation ne peut pas être considérée à ce stade comme une opportunité pour traiter la problématique des déserts médicaux, contrairement à ce qui est annoncé et largement véhiculé dans les médias.

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Aussi, Madame Buzyn, je vous propose de hisser le spi pour y donner un véritable souffle !

Car la téléconsultation est une occasion unique de repenser le parcours de soins de manière vertueuse, tant en termes d’accès aux soins que de coûts. Elle va en effet entraîner un changement d’habitude pour les patients et pour les médecins.

Ainsi, côté patient, la généralisation de la téléconsultation permettra notamment :

  • D’éviter les déplacements inutiles, en particulier pour les populations fragiles (personnes âgées, à mobilité réduite, etc.). Rappelons que le coût du transport sanitaire en 2014 était de près de 4 milliards d’euros, et que les sages de la rue de Cambon soulignent depuis des années les conséquences positives attendues de la téléconsultation.
  • De changer le rapport à la médication, dont le coût annuel s’élève à près de 30 milliards d’euros. Si dans les années 2002, la campagne organisée par les pouvoirs publics et la CNAM autour du slogan « Les antibiotiques, c’est pas automatique ! » a permis une diminution de la consommation des antibiotiques, la téléconsultation doit poursuivre cet effort. Il est aisé pour un médecin, et compréhensible pour un patient, de limiter les prescriptions en raison de l’absence d’examen physique et de recueil d’éléments suffisamment probants pour émettre une ordonnance médicamenteuse (qui rappelons-le n’est pas un acte anodin !). Pour appuyer cet attendu, les plateformes de téléconsultation suisses, qui ont un recul de plus de 20 ans, font état d’une téléprescription dans seulement 3% des cas traités.
  • De limiter le recours aux services d’urgence trop souvent utilisés comme premier accès, ou pour pallier les carences des territoires en disponibilité médicale.
  • D’assurer une réponse médicale plus uniforme et équitable sur les territoires. La téléconsultation permet une avancée majeure pour les patients en leur donnant accès à des spécialités dont ils ne disposent pas sur leur territoire habituel. Autrement dit, elle permet d’améliorer l’allocation de la ressource médicale.

Côté médecin, l’avènement de la téléconsultation est l’occasion :

  • De mettre fin aux journées d’« abattage » de 40 ou 50 consultations, épuisantes pour le professionnel. Le médecin, en particulier en médecine générale, pourra se recentrer sur une approche globale du patient, assurer de manière optimisée les actions de prévention et ne plus se concentrer uniquement sur le symptôme. Les consultations physiques dureront peut-être à l’avenir 30 minutes car il aura davantage de temps à accorder à chacun. Il est certain qu’une nouvelle donne économique devra émerger.
  • De faciliter la pluridisciplinarité par des consultations en synchrone : un médecin généraliste pourra par exemple solliciter un confrère spécialiste à tout moment pour profiter de son expertise sur le patient, sans obliger celui-ci à prendre un nouveau rendez-vous, des semaines plus tard, chez le spécialiste.
  • De lever certains freins à l’installation des médecins dans les zones plus reculées. Certains redoutent en effet de s’installer ou de rester dans les déserts médicaux car les sollicitations des patients sont permanentes. La téléconsultation est de nature à diminuer cette inquiétude grâce au filtre réalisé par d’autres professionnels de santé installés sur des territoires mieux dotés !
  • De promouvoir la médecine française à l’étranger. L’expertise reconnue de nos professionnels peut aisément être partagée avec la téléconsultation : il est naturellement moins coûteux, en temps et en argent, de profiter des outils numériques que de déplacer un médecin à l’autre bout de la planète.

Alors oui, Madame Buzyn, vous avez fait le premier pas, mais nous sommes à la croisée des chemins.

Souhaitons-nous profiter de la téléconsultation pour repenser notre parcours de soins ? Pour répondre à cette question, je vous encourage à changer de prisme : arrêtons d’envisager les risques uniquement et de craindre que les choses fonctionnent. Il est dommage de poser d’emblée des limites à la pratique balbutiante de la téléconsultation !

Prenons l’exemple de l’article 36 du PFLSS : il prévoit la limitation des actes de téléconsultation à la vidéotransmission, alors que les services de régulation des urgences réalisent avec succès des actes de télémédecine depuis des années par téléphone. Il sera grand temps devant le succès d’ajouter des contraintes ou des restrictions. La France sait très (trop) bien le faire !

Enfin, pour accompagner ce changement, je vous propose de poser deux principes directeurs : la téléconsultation doit faciliter l’accès aux soins et ne pas exposer les patients à des risques inutiles. Alors oui, lançons-nous vraiment dans la téléconsultation, avec envie, volontarisme et enthousiasme. Ce n’est pas la boîte de Pandore ; tant d’autres pays l’ont déjà mise en place depuis des années, où elle fait partie prenante de leur système de santé. Et ne nous inquiétons pas… la consultation physique garde de beaux jours devant elle !