Contre une télémédecine Fast Food

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La crise sanitaire a permis à la téléconsultation de se développer rapidement et sa pratique semble se pérenniser dans le temps. D’après un rapport de la Drees du mois de décembre 2022, 9,4 millions de consultations médicales à distance ont été réalisées en 2021 et 77 % des praticiens indiquaient en avoir déjà effectué entre janvier et avril 2022. Si la téléconsultation continue à séduire de nombreux médecins et patients, c’est en partie pour ses facilités d’utilisation et parce qu’elle répond à de véritables difficultés d’accès aux soins, pouvant conduire à leur renoncement. Mais elle peut également engendrer des abus ; ces derniers sont-ils la seule conséquence d’un manque de régulation, de la négligence de certains professionnels de santé, ou encore de demandes excessives des patients ?

L’innovation engendre des dérives et la téléconsultation ne fait pas exception à la règle

D’après la CNAM, 190 000 arrêts de travail ont été prescrits à distance en 2021 à des patients ayant téléconsulté un médecin autre que leur médecin traitant. 82% des 130 000 bénéficiaires concernés avaient pourtant un médecin traitant. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, présenté à l’Assemblée Nationale en septembre dernier, a souhaité limiter l’indemnisation des arrêts de travail dans ce cadre : ils ne seraient indemnisés que s’ils émanent du médecin traitant du patient ou d’un médecin ayant déjà reçu l’intéressé en consultation depuis moins d’un an. Si cette mesure a finalement été censurée par le Conseil constitutionnel, elle met en lumière les difficultés de garantir un égal accès aux soins, tout en prévenant les abus.

La téléconsultation peut conduire à une prise en charge plus efficace des patients, à condition d’être exercée dans le respect du parcours de soins ou dans le respect d’un cadre (et de limites) bien précis en dehors du parcours de soins. Ce dernier reste essentiel au suivi de l’état de santé du patient, une mission remplie par le médecin traitant.

L’émission d’ordonnances dans le cadre d’une consultation à distance et hors du parcours de soins ne peut, et ne doit pas être la règle. N’étant pas le médecin traitant du patient, le praticien ne peut avoir de vision précise sur sa consommation de soins récente, ses habitudes de vie, son état de santé global et ses antécédents. Il doit donc faire preuve de prudence quant à la prescription de soins, de médicaments, ou la délivrance d’arrêts de travail car il s’appuie sur les dires d’un patient qu’il n’a jamais vu et qu’il ne reverra probablement pas.

Passer d’une télémédecine “fast food” à une télémédecine raisonnée

Une question presque philosophique se pose : est-ce à la communauté de supporter le coût de ces prescriptions ? Quelques exemples vécus posent question : un patient demande une ordonnance pour un bilan d’orthophonie car la maîtresse d’école a un doute. Un médecin peut-il prescrire cela en dehors du parcours de soins ? Ou doit-il plutôt réorienter le patient et son enfant vers leur médecin traitant et/ou leur pédiatre pour confirmer la nécessité de ce bilan, en lien avec des antécédents connus et suivis de longue date. De même, la formule récurrente “c’est plus simple de faire mon renouvellement de traitement en quelques clics car mon médecin traitant n’est jamais disponible avant une semaine” est-elle une raison suffisante pour court-circuiter son médecin traitant ? À cela s’ajoutent les téléconsultations pour des ordonnances de paracétamol, pourtant accessible sans prescription, voire d’exigences d’obtenir une ordonnance pour une IRM “car je suis sportif, je connais mon corps et je sais que c’est ce qu’il me faut”.

Les téléconsultations hors parcours de soins sont précieuses et contributives si elles participent avant tout à orienter le patient dans son parcours. Par exemple, en donnant des conseils qui éviteront de solliciter les services d’urgences : quelle conduite tenir en cas d’oubli de contraceptif, en cas de fièvre chez l’enfant de plus de 6 mois, de petites plaies ou de syndromes infectieux. L’émission d’une ordonnance est adaptée et contributive dans le cas d’une cystite simple ou pour un dépistage d’IST, dans tous les cas en invitant le patient à consulter son médecin traitant une fois les résultats obtenus ou en cas d’aggravation. Les limites sont parfois ténues, mais ce cadre et ces protocoles sont cruciaux pour garantir des actes qualitatifs, qui n’outrepassent pas sans raison le parcours de soins. 

Effet collatéral de cette innovation et des confinements successifs qui ont ancré l’habitude d’obtenir ce que l’on veut en un clic, la téléconsultation a surtout transformé certains patients en consommateurs qui, moyennant 25€, estiment avoir le “droit” à leur prescription ou leur arrêt de travail. Après le “binge-watching”, évitons le “binge-consulting” !

Si les professionnels de santé ont une responsabilité à assumer dans l’utilisation de la télémédecine, les politiques doivent également prendre conscience de son impact sur le système de soins et de son financement à terme. Les patients ont également un rôle à jouer en utilisant la téléconsultation de manière raisonnée. La consultation à distance ne doit intervenir qu’à titre ponctuel, ou en complément des visites en cabinet. 

Nous devons aujourd’hui militer contre une télémédecine “Fast Food” qui, sous couvert de faciliter et de proposer un service accessible à tous, diminue la qualité de la prise en charge globale du patient. Des alternatives existent et chaque acteur impliqué doit remplir sa part du contrat social, au risque de voir cette révolution dans l’accès aux soins des Français disparaître, faute de cadrage et de bon sens.

Sources : 

* Rapport de la Drees : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-12/ER1249.pdf

* Etude OpinionWay :
https://www.lesechos.fr/thema/sante-accompagnement/pourquoi-59-des-francais-ont-ils-deja-du-renoncer-a-des-soins-1148978 * Chiffres de la Cnam :
https://www.banquedesterritoires.fr/portee-par-la-pandemie-la-teleconsultation-va-t-elle-devenir-la-solution-pour-lutter-contre-les