6 questions au Dr Assia Schahl - Médecin Psychiatre, Psychothérapie cognitive et comportementale

Image de couverture de: 6 questions au Dr Assia Schahl - Médecin Psychiatre, Psychothérapie cognitive et comportementale

Médecin psychiatre libéral à Lyon et Médecin attachée aux urgences psychiatriques des HCL de Lyon, le Docteur Assia Schahl est diplômée de la faculté de Médecine de Lyon. Elle a complété sa formation avec un DU de Thérapie cognitive et comportementale, un DU de formation à la psychothérapie, ainsi qu’un DIU de sexologie médicale.

Le 25 novembre 2021, elle intervenait auprès de la communauté médicale de Medaviz pour aborder le suivi de la dépression en médecine générale. 

Comment différencier déprime et dépression ? 

Dr Assia Schahl :  La déprime n’est pas une maladie, ce n’est pas un état pathologique. C’est une expérience d’émotions négatives fugaces et transitoires, un passage à vide, sans rupture avec l’état antérieur. L’humeur du patient est variable, réactionnelle à l’environnement et aux événements de vie. Cela ne relève donc pas du soin. Si le patient nous explique qu’il ne se sent pas bien globalement depuis une semaine mais qu’il se sent mieux le soir, ou qu’il exprime ses difficultés à aller au travail depuis une semaine à dix jours, il est possible de patienter. On ne soigne pas, mais on peut proposer une consultation ou une téléconsultation 10 jours après, pour un contrôle. Lorsque son état ne dure pas, qu’il est variable, il ne s’agit pas d’une dépression. 

À la différence, la  dépression c’est une maladie qui se traduit par une détresse significative et pathologique qui dure, une rupture…

Comment poser le diagnostic d’une dépression ? 

Dr Assia Schahl : La première consultation avec un patient dépressif est capitale. Elle a une grande influence sur la trajectoire du patient, les conditions de son traitement, son pronostic et son entourage. 

La dépression est une maladie qui touche 3 points dans le cerveau : 

  • le cortex préfrontal (siège de l’émotion et de la planification des comportements) avec une baisse de l’activité, 
  • l’hippocampe (impliqué dans la mémorisation et l’humeur) dont la taille diminue,
  • l’amygdale (régulant l’anxiété et l’hypersensibilité) qui devient hyperactive. 

Il existe 4 repères pour identifier cette maladie : les troubles émotionnels, les troubles cognitifs, une perte de motivation flagrante, ainsi que les troubles somatiques et comportementaux. Ils doivent être présents depuis plus de 15 jours, pour pouvoir poser un diagnostic de dépression. La téléconsultation me sert énormément lorsqu’un patient vient spontanément. En fonction de notre échange, je l’invite en téléconsultation assez rapidement, souvent dès la semaine suivante, pour voir son évolution. Si je diagnostique une réelle rupture avec son état antérieur, là il devient nécessaire de prendre le temps et de poser un vrai diagnostic, sur au moins l’un des critères suivants : 

  • humeur dépressive,
  • perte d’intérêt/rupture avec l’état antérieur,  

puis sur l’un de ces quatre critères : 

  • dévalorisation et/ou culpabilité, 
  • trouble de la concentration et/ou du dysfonctionnement exécutif, 
  • fatigue et/ou ralentissement, insomnie et/ou hypersomnie, 
  • modification du poids et/ou de l’appétit, idéation suicidaire. 

Quelle est la définition des idées suicidaires et comment accompagner le patient ? 

Dr Assia Schahl : La crise suicidaire est le principe de l’impuissance apprise. C’est un état psychique temporaire et réversible, qui s’impose dans un contexte de vulnérabilité, après épuisement des ressources adaptatives du patient. Il est alors indispensable d’en évaluer le risque, cela doit être un réflexe, parce que la vie du patient est entre les mains du médecin. 

Il faut alors être très attentif à plusieurs points : la qualité de l’environnement du patient (un patient isolé présente davantage de risques), la réduction ou l’abandon des activités ou encore l’abandon d’un contrat (démission ou décision de divorce), l’exacerbation des symptômes dépressifs et la qualité de son sommeil. Ce dernier point est très important et par expérience je redoute beaucoup l’insomnie, car le patient peut vraiment ruminer pendant cette période. 

Sans les renforcer, il faut amener le patient à exprimer ses idées suicidaires, pour évaluer ses intentions et le risque de passage à l’acte, savoir s’il est en train de construire un scénario. Le risque suicidaire est très élevé lorsque le patient est isolé, qu’il est en phase de planification de l’acte avec un scénario construit et facile d’accès, ou qu’il se sent dans une impasse. Le patient peut alors être particulièrement inhibé ou à l’inverse dans un grand état d’agitation. Dans les deux cas, il s’agit d’une urgence vitale, qui peut nécessiter une hospitalisation, avec ou sans son consentement. 

Quelles sont les pathologies pour lesquelles le patient peut consulter un médecin généraliste ? 

Dr Assia Schahl : Le patient peut consulter pour : 

  • Un burn out, qui est un épuisement psychique, composé de 4 phases et pouvant mener au surmenage. Il a alors tendance à demander des fortifiants au lieu de s’arrêter. Cet état peut mener à un EDC, un AVC ou un ACV. 
  • Une dépression masquée et somatique, concerne les personnes qui viennent consulter pour des douleurs ou des problèmes digestifs. Si cela se répète, il faut en déterminer la cause pour établir s’il ne s’agit pas d’une dépression.  
  • Un deuil pathologique, qui est un état normal pour lequel il ne faut pas prescrire un antidépresseur. Il est naturel d’être triste lors de la perte d’un proche. Le patient peut être soit dans un état de sidération face à l’épreuve de réalité, soit avec une décharge émotionnelle comme la tristesse ou la colère et présenter des désirs de mort pour rejoindre le défunt. Lorsque ces états durent plus de 15 jours ou se pérennisent après un mois, le patient entre dans le deuil pathologique et peut avoir des idées suicidaires. Il faut alors soigner. 
  • Une dépression post partum est un cas de consultation fréquent. Le baby blues apparaît dans les 5 jours et se présente sous la forme d’une tristesse très particulière avec beaucoup de larmes et une variation de l’humeur dans la journée. Cet état est fugace et disparaît au bout de 10 jours. Il peut évoluer vers une dépression post partum dans les 6 premiers mois, avec une dévalorisation pour la mère et une inquiétude assez importante autour de l’enfant. 
  • Une dépression hostile touche les patients qui ne sont pas très aimés malheureusement et qui remplacent la tristesse par de l’agressivité ou de l’impulsivité. Il ne reconnaît pas son état dépressif et pense que les gens ont changé, même s’il est conscient de ne plus rien supporter. Le patient peut s’isoler, ne plus avoir envie d’aller au travail et ne plus se sentir épanoui dans sa vie privée et se réfugier dans une addiction. Ce sont cependant des patients que l’on peut traiter.   
  • Une dépression pseudo-démentielle pour laquelle les médecins généralistes peuvent être consultés. La plainte cognitive est au premier plan pour le patient. Il peut présenter des troubles de la concentration et de la mémoire, un léger état confusionnel et un appauvrissement de la communication. Il est important de poser le bon diagnostic et de ne pas proposer d’hypnotique ou d’anxiolytique, qui aggraveraient l’état du patient.  

Comment accompagner les patients qui présentent régulièrement des états dépressifs et comment expliquer son état à un patient dans le déni ? 

Dr Assia Schahl : Lorsqu’un patient est en dépression presque chaque année, il faut demander un avis psychiatrique. Il s’agit peut-être d’un trouble bipolaire type II non diagnostiqué.   

Concernant le déni, cela relève d’un vrai travail d’amener le patient à comprendre son état. C’est souvent le cas lors d’un burn out, parce que le patient veut encore lutter et s’accrocher. On peut évoquer le fait qu’il n’arrive plus à décrocher de son travail et lui demander ce qu’il en pense. Tout l’art est de lui montrer par l’évidence qu’il ne parvient plus à gérer son état, sans que cela devienne une confrontation. 

Pour les patients en dépression hostile, il est préférable d’essayer de leur expliquer que le traitement va diminuer leur impulsivité. Il n’est pas question de parler de diminution de l’état dépressif puisque le patient ne veut pas l’entendre. Généralement, ce sont des personnes assez autonomes et fortes, qui ont besoin de montrer qu’elles ne lâchent pas. En prévoyant un rendez-vous avec une solution de téléconsultation une semaine après, on peut cependant leur faire reconnaître l’effet positif du traitement, toujours en abordant le symptôme qui perturbe le lien avec le monde extérieur et non la maladie.  

Les antidépresseurs pour qui et quand ? 

Dr Assia Schahl : Les antidépresseurs conviennent aux patients avec lesquels il est possible de créer une alliance thérapeutique solide. Le patient peut arrêter son traitement à tout moment et il faut éviter ce danger en construisant cette alliance, pour s’assurer qu’il reviendra si besoin. 

Ces traitements peuvent être prescrits dès la première consultation si le diagnostic est posé. Il suffit de prendre le temps d’expliquer son état au patient, avec des mots simples. Il est essentiel d’encourager l’espoir dès que possible, de montrer que cet état va s’améliorer. Le patient a en effet besoin de bienveillance et de la reconnaissance de ses troubles. La reformulation est alors très importante, car le patient entend que vous avez entendu.