6 questions à : Francis Le Goff, Directeur de course de La Solitaire du Figaro

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Medaviz a récemment renouvelé son engagement auprès de La Solitaire du Figaro, en devenant cette année le Partenaire Santé de l’évènement. Francis Le Goff, directeur de cette course mythique, répond au premier “6 questions à” consacré à l’épreuve où “naissent les légendes”. Santé, préparation des skippers, enjeux de sécurité, il partage sa riche expérience de l’une des compétitions nautiques les plus exigeantes.

Medaviz : Comment êtes-vous devenu directeur de course de La Solitaire du Figaro ?

Francis Le Goff : J’ai toujours habité au bord de la mer et j’ai toujours navigué. À la sortie de la faculté, j’ai rejoint l’École nationale de voile à Quiberon, qui permet d’avoir des diplômes dans l’encadrement. J’ai entraîné beaucoup d’équipes, avant de m’orienter vers la direction de course. J’ai commencé sur la Transat Jacques Vabre et ce sera ma sixième La Solitaire du Figaro. Cette course me plaît particulièrement, car c’est un peu le passage obligé pour tous les marins qui veulent ensuite aller vers d’autres courses comme la Route du Rhum – Destination Guadeloupe ou le Vendée Globe. C’est une belle école de formation, assez spécifique, car le directeur de course est en mer pendant les quatre étapes. C’est aussi un passage obligé, celui qui nous permet d’être légitimés par les marins.

Medaviz : Comment les questions de santé et de préparation des skippers ont évolué ces dernières années ?

Francis Le Goff : La préparation physique des skippers a largement évolué. Aujourd’hui on ne peut plus se présenter sur La Solitaire du Figaro sans s’être préparé. La course a toujours été exigeante, mais quand on a changé de bateau pour le Figaro Bénéteau 3, elle est devenue encore plus physique.

Pour les marins, il n’y a aujourd’hui qu’une solution : avoir une préparation physique et une hygiène de vie irréprochables. Il faut aussi que leur récupération soit rapide. C’est une chose de pouvoir gérer une épreuve, mais pendant La Solitaire, il faut le faire quatre fois à la suite, pratiquement sans dormir et revenir à chaque étape au maximum de ses facultés physiques, mentales, intellectuelles, avec seulement trois jours de récupération.

Pour accompagner cette évolution, les centres d’entraînement se sont structurés et la partie médicale prend aujourd’hui la même place que la météo, la stratégie ou la conduite du bateau en elle-même. Les programmes des courses ont énormément évolué et de nouveaux incidents arrivent lorsque les skippers sont au large. Ils doivent savoir gérer la douleur avec l’aide du médecin de course et parfois être leur propre pharmacien. Tout cet aspect de la course se prépare, pour qu’ils soient finalement en capacité de gérer les incidents seuls, dans un environnement qui peut être hostile.

Medaviz : Quels sont les enjeux de sécurité actuels, avec l’apparition des bateaux à foils et les nouvelles vitesses de navigation ?

Francis Le Goff : Il faut distinguer les Figaro Bénéteau 3 de La Solitaire du Figaro des bateaux de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe, qui volent pratiquement. Ils n’atteignent pas les mêmes vitesses, mais quand elles augmentent et que le bateau s’arrête brutalement, l’énergie cinétique est importante. On voit apparaître de nouvelles pathologies, d’autres chocs, qui poussent certains skippers à naviguer avec des genouillères.

La vitesse entraîne aussi d’importantes arrivées d’eau sur le cockpit. Selon les conditions, certains marins portent des casques avec des visières pour se protéger du vent et pour que les embruns ne viennent pas frapper leur visage sans arrêt.

Le port de la combinaison est presque devenu la norme et entraîne de nouvelles pathologies dermatologiques, en raison des frottements permanents au niveau du cou et des poignets, par exemple.

Medaviz : Comment le digital a révolutionné les courses ?

Francis Le Goff : Pour les Directeurs de course, les alertes sont désormais relayées très rapidement. Par exemple, une alarme nous signale lorsque les bateaux vont à une moyenne de 12 à 15 nœuds et passent subitement à zéro ou un nœud. On essaie d’améliorer au maximum la connaissance de la position des bateaux et des logiciels nous permettent de les suivre pour réagir assez rapidement ou se rapprocher des systèmes de secours si nécessaire. Il n’est pas possible de les solliciter en permanence, simplement pour une question d’énergie. Lorsque les conditions sont difficiles, on va prendre une position tous les quarts d’heure ou toutes les 10 minutes et si un bateau est en véritable difficulté, on peut remonter sa position toutes les minutes, pour guider au mieux le marin ou les secours qui pourraient aller vers lui.

La deuxième évolution a été la possibilité d’installer une relation permanente avec le médecin référent et le médecin de course. On essaie d’avoir les communications les plus fiables possible, pour qu’en cas de problème, le skipper puisse appeler le médecin de course, joignable 24h/24, ce qui est suffisant dans 90 % des cas.  Lorsque la situation est plus compliquée, nous faisons appel à des organismes de secours.

Medaviz : Et comment a-t-il impacté le pilotage ?

Francis Le Goff :  Sur La Solitaire du Figaro, il y a encore très peu d’assistance de la terre vers les marins, au point que leurs cartes SIM sont plombées pendant la course. À partir du moment où ils ont quitté le ponton, plus aucune information ne peut entrer ou sortir du bateau. C’est encore le directeur de course qui donne le bulletin météo et c’est aussi pour cela que La Solitaire est si exigeante.

L’aspect qui a le plus évolué et c’est une bonne chose, est qu’ils ont à bord un téléphone avec quelques numéros pré-enregistrés, pour joindre le directeur de course, le médecin de course et le service presse.

Pour autant, on utilise les avancées technologiques avec les balises de positionnement et de déclenchement des secours, une appartenant au bateau et deux autres au marin. L’une est rattachée au même système satellitaire que celle du bateau et l’autre envoie un signal aux bateaux les plus proches en cas d’alerte, dans un rayon de 12 km environ. Ce sont des avancées très importantes, qui sécurisent la navigation en solitaire.

Ils sont aussi équipés d’un système AIS, qui permet de détecter les concurrents et les navires à proximité, à la fois pour la stratégie de course et pour la sécurité.

Medaviz : Pouvez-vous nous partager l’une des anecdotes de course liées au suivi des marins à distance ?

Francis Le Goff : Comme ils ne savent pas où ils sont car ils ont connaissance du classement seulement deux fois par jour, certains skippers tentent des options audacieuses. Lors de l’avant-dernière La Solitaire du Figaro, un marin qui participait pour la première fois à l’épreuve s’est retrouvé devant tous les ténors, avec 30 milles d’avance. Les conditions météo étaient pourtant favorables aux options prises par la majorité de la flotte, mais la météo n’étant pas une science exacte, le coup était presque parfait, même s’il n’a pas remporté l’étape.