Le financement du système de santé est depuis longtemps un sujet brûlant. Du fait de la généralisation de la tarification à l’acte (dite “T2A”) en établissement hospitalier à partir de 2004, on croît parfois que ce modèle est récent. Or, l’importance de l’hôpital dans la médecine d’aujourd’hui ne doit pas nous faire oublier que le système de paiement à l’acte en médecine de ville est installé depuis longtemps en France.
Les dernières expérimentations de paiement à la capitation sont l’occasion de revenir sur l’histoire (mouvementée) du financement de la médecine pour en comprendre les enjeux.
Origines de la médecine contemporaine
Sous l’Ancien Régime, les praticiens sont le plus souvent rémunérés par des institutions collectives. Certaines corporations de métiers, confréries ou manufactures privées mettent en place des systèmes de protection sociale parcellaires et des dispensaires. L’Etat intervient pour sa part dans la santé des activités minières, là aussi en prenant à sa charge le salariat de chirurgiens et médecins. En dehors de ces circuits particuliers, c’est l’hospice et la charité qui organisent un accès précaire au soin(1).
A la suite de la Révolution Française, le Consulat napoléonien va entériner un changement profond. La loi du 10 mars 1803 pose le principe de la mise en concurrence des offreurs de soins, avec un paiement à l’acte. Cette loi a pour but premier d’en finir avec le charlatanisme qui se développe. Elle crée trois statuts qui nécessitent un diplôme médical reconnu par l’Etat et ouvrent le droit à exercer une activité médicale :
- Médecin,
- Chirurgien,
- Officier de santé.
Seules les personnes solvables peuvent prétendre alors à payer des soins. Les non-solvables sont redirigés vers les hôpitaux, dans lesquels les praticiens exercent bénévolement. La pratique hospitalière de ces médecins leur permet de facturer des actes plus élevés sur le marché privé du soin grâce aux compétences qu’ils y développent. Le marché solvable finance indirectement le marché insolvable.
Au milieu du XIXe siècle, le statut des officiers de santé – qui appliquent des soins de base, répétitifs – est remis en cause. Accusés de créer une concurrence déloyale aux médecins en faisant chuter les prix moyens des consultations, ils se verront supprimés à la fin du siècle. On peut trouver aujourd’hui dans le débat sur le statut des Infirmiers de Pratique Avancée (IPA) une résurgence de cette crainte du corps médical.
La socialisation progressive de la santé
Dans le même temps, vont apparaître les premières formes généralisées de gratuité des soins financées par la puissance publique. La loi de 1893 instaure l’Assistance Médicale Gratuite, un dispositif pour les personnes sans ressources qui oblige les communes (ou les départements ou l’Etat) à financer leurs soins à domicile, ou, si ce n’est pas possible, leurs soins hospitaliers. Cette gratuité des soins sera étendue aux victimes de guerre après la Première Guerre mondiale.
Certains voient cette disposition comme une atteinte au caractère libéral de la médecine et le début d’un semi-fonctionnariat. Se développent au même moment des sociétés de secours mutuels – les mutuelles – qui, dans leur Charte de la Mutualité de 1898, prévoient des formules d’abonnement soit une forme de paiement à la capitation, mal perçue par la médecine libérale.
Cette dernière impose sur le plan législatif son point de vue et établit parallèlement des prix planchers pour les paiements à l’acte – le tarif Jeanne – pour garantir des honoraires suffisants aux médecins.
Ces évolutions permettent une meilleure prise en charge socialisée des besoins de soins de la population française, qui passe de 3% en 1890 à 17% en 1914, puis 46% en 1934(2).
Les années 1920 voient un débat parlementaire virulent de sept ans qui aboutira à la prise en charge des honoraires par les caisses d’assurances sociales – soit l’application du tiers payant, mais pas au paiement à la capitation, initialement dans le texte. A partir de ce moment-là, la crainte des syndicats de médecins est que les tarifs des caisses départementales s’imposent à eux contre le tarif Jeanne.
La Charte de la médecine libérale en 1927 a pour but de rappeler certains principes :
- Le libre choix absolu de son médecin par le patient,
- Le respect du secret professionnel,
- Le droit à des honoraires,
- Le paiement direct,
- La liberté de prescription,
- Le contrôle des malades par les caisses et des médecins par le syndicat,
- Et la représentation du syndicat dans les commissions.
Avec la généralisation de l’assurance sociale en 1945, le débat porte dès lors sur le conventionnement avec la possibilité ouverte en 1960 de se conventionner individuellement et non plus au niveau départemental.
En 1971, une première convention, signée entre la Caisse nationale d’Assurance Maladie et les syndicats de médecins, maintient le paiement à l’acte, accélère la socialisation de la dépense et s’engage à ne pas favoriser la médecine salariée.
L’émergence du paiement au forfait
La socialisation de la santé permet une augmentation inouïe de la consommation de soins et de biens médicaux qui passe de 2,6 à 9,1% du PIB de 1950 à 2010. La place de la Sécurité Sociale devient omniprésente même si son financement de la médecine de ville s’atténue depuis les années 1980 au profit de celui des complémentaires santé notamment. Le lien étroit entre la puissance publique et la médecine libérale devient tel qu’un nouveau type de rémunération apparaît dans les années 1990 : la rémunération à la performance.
Soucieux de maîtriser la hausse des dépenses dans un contexte de paiement à l’acte, la Sécurité Sociale propose des Contrats d’objectifs en 1999 puis des Contrats d’amélioration des pratiques individuelles en 2009 qui laisse sa place à la Rémunération sur Objectifs de Santé Publique (ROSP) en 2011 complétée par le Forfait patientèle médecin traitant (FPMT) et le Forfait Structure (FS) en 2016.
La ROSP et le FPMT seront fusionnés au 1er janvier 2026 dans un Forfait Médecin Traitant. Ces dispositifs poussent à l’informatisation des cabinets dans un contexte de multiplication des cotations d’actes différents, à la prise en charge de davantage de patients, à l’optimisation des prescriptions, au développement de la prévention.
De nos jours, toutes ces rémunérations forfaitaires représentent environ 15% du revenu des médecins généralistes, le reste venant du paiement à l’acte.

Évaluation du programme d’expérimentation PEPS
Médecine libérale et socialisation : un nœud gordien ?
Paradoxalement donc, depuis deux siècles, la socialisation de la santé s’est développée en même temps que le paiement à l’acte d’essence plutôt libéral. C’est la raison pour laquelle l’encadrement des tarifs et des pratiques médicales a été croissant, le coût étant essentiellement supporté par la collectivité.
Ces contraintes administratives et financières sont souvent pointées du doigt par le corps médical, qui abandonne progressivement la pratique libérale pour la médecine salariée : plus de 40% des médecins généralistes ont à ce jour une activité exclusivement ou partiellement salariée.
Dans ce contexte, la médecine libérale se cherche un nouveau souffle. Paradoxalement, le paiement à la capitation pourrait apparaître aux yeux de certains comme une forme d’affranchissement de toutes les nomenclatures d’actes, de l’orientation des prescriptions en échange d’une rémunération forfaitaire, etc. Ceci dit, il n’existe pas un seul modèle de paiement à la capitation comme il n’a pas existé en deux siècles un seul modèle de paiement à l’acte.
La place du financeur, qu’il soit la Cnam, une mutuelle ou encore le patient, est décisive, tout comme les conditions d’exercice de chacun des modèles. En réalité, la socialisation financière de la santé étant devenue un impondérable de la politique de santé publique, la préservation de la liberté d’exercice des médecins est un réel défi tout comme l’est celui de soigner efficacement une population vieillissante avec moins d’actifs.

Nos outils permettent d’améliorer la coordination entre praticiens
- G. Robert, La protection sociale et médicale sous l’Ancien Régime, Communication présentée à la séance du 21 novembre 1981 de la Société française d’histoire de la médecine..
- Jean-Paul Domain, Paiement à l’acte et régulation du système de soins : une analyse de longue période (1803-2013), Revue Française de socio-économie
Directeur de la stratégie & QSE